Ouverture d’une librairie indépendante près de chez moi, l’occasion de découvrir ce métier

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Ouverture d’une librairie indépendante près de chez moi, l’occasion de découvrir ce métier

Une librairie indépendante a ouvert dans une commune près de chez moi il y a trois semaines (le 14 septembre 2022). Je ne sais pas vous, mais je trouve ça super. J’habite un peu loin de la ville, du coup, j’avais l’habitude de commander mes livres en ligne, plutôt que d’aller dans les petites librairies ou chez les géants (Cultura, Fnac…). En général, j’achète toujours des titres que je cherche précisément, parce que je ne passe pas des heures à éplucher les pages de vente.

Désormais, je peux aller traîner dans les rayons de cette librairie intimiste et découvrir des ouvrages vers lesquels je ne me serais pas tournée. Parfois en regardant une couverture qui me plaît, une quatrième qui me parle, mais aussi grâce aux conseils de ma libraire. J’aime bien dire « ma », parce que, oui, c’est un peu comme ma librairie. Un endroit où j’adore passer du temps, un refuge.

Le métier de libraire m’a toujours intriguée, en tant que lectrice invétérée, mais aussi en tant qu’autrice. Flâner dans un tel endroit, entouré d’univers et de mondes variés, est un réel plaisir. Mais, du coup, je me suis posé quelques questions : Comment se crée une librairie indépendante ? Comment sont sélectionnés les livres mis en rayon ? Est-ce uniquement réservé aux auteur·rice·s publié·e·s en maison d’édition ou peut-on y trouver des ouvrages auto-édités ?

J’ai mené l’enquête pour vous (et un peu pour moi, c’est vrai) et suis partie m’entretenir avec la libraire, qui m’a très gentiment parlé de son activité.

As-tu toujours été dans le monde du livre ?

librairie indépendante de proximité

Pour mes études, j’ai suivi un DUT métier du livre, pour finalement me tourner vers un master communication généraliste. Je voulais au départ travailler dans l’édition, mais je n’étais pas assez passionnée à l’époque par les livres, bien que je lise depuis mon enfance et que je passais plus de temps à lire qu’à jouer avec mes copines ou regarder la télévision. Je me suis donc dirigée dans le milieu de la communication, mais en œuvrant pour des associations internationales, type Emmaüs, orientées aussi écologie et environnement.

Qu’est-ce qui t’a motivée à créer une librairie indépendante ?

Douze ans après, j’avais fait le tour du milieu de la comm’. Le salariat ne me convenait plus, malgré le confort qu’il peut apporter. J’avais envie d’être indépendante et de bosser pour moi, de ne pas dépendre d’un supérieur, d’évoluer parmi les livres. La littérature et la lecture étaient des sujets sur lesquels je revenais tout le temps.

C’est la première fois que je travaille en librairie, que je suis libraire. Depuis l’ouverture il y a trois semaines, la boutique n’a pas désempli. Les clients viennent découvrir, chercher des titres en particulier et passent aussi des commandes pour les ouvrages que je ne propose pas. Cette librairie locale était un des commerces les plus attendus.

Le challenge arrivera surtout en 2023 avec le contexte économique qui ne sera pas simple. Mais le livre reste un produit abordable, les gens ont envie de consommer local.

Combien te rapporte ce métier ?

Je travaille 60 h par semaine. C’est un métier passion, je ne dégage pas un gros salaire. L’enthousiasme et la satisfaction que ça m’apporte me permettent de pallier cette absence de « salaire confortable ». Mais comme maintenant j’y passe ma vie, je ne pars plus en vacances et je ne vais plus au restaurant, j’économise (rires).

Quelles sont les différentes facettes du métier de libraire ?

Ce métier est très complet et c’est ce qui m’a motivée à me lancer. C’est un métier de commerce, de vente, de conseil, de gestion de stock et d’achat, de gestion de la comptabilité, avec une partie communication et événementiel. Avec ma précédente expérience, je gagne énormément de temps sur ce dernier point.

Au-delà du travail que les représentants des maisons de diffusion réalisent en me proposant des livres, je dois, en amont, rester en veille constante sur les sorties pour choisir mon assortiment.

Je gère aussi les commandes de livres des collectivités, pour les collèges et les sélections littéraires. Cela demande beaucoup de temps entre les devis, les bons de livraison et les échanges avec les distributeurs des maisons d’édition. Je suis en négociation permanente. Je pensais que ce serait compliqué, mais quand on travaille pour soi, on ose beaucoup plus. S’imposer en tant que jeune libraire, nouvelle dans le milieu, et qui plus est en tant que femme qui mène son entreprise seule, ça s’apprend au quotidien.

Qu’est-ce que tu aimes le plus dans le métier de libraire ?

J’aime le côté 360, pouvoir passer du métier de communicante à celui de commerciale, d’acheteuse, de conseillère… c’est très complet. Ce qui me plaît le plus, c’est le rapport à la clientèle, le relationnel. J’ai été très bien accueillie dans la commune, les gens sont enthousiastes, c’est hyper chaleureux. C’est ce qui me permet d’apprécier mon boulot.

Je propose une sélection réduite, entre 4 000 et 4 500 livres, on ne peut pas tout avoir. Ce qui m’intéresse aussi dans ce métier, c’est que tu apprends tout le temps, même auprès des clients. Ils me font découvrir des histoires en passant commande, donc parfois j’en prends un exemplaire de plus pour la librairie.

J’affectionne le côté conseil, pouvoir avoir l’idée tout de suite quand le client cherche quelque chose de précis et ainsi pouvoir l’aiguiller sur des ouvrages qui correspondront à sa demande. Mais tous ne veulent pas être conseillés, certains préfèrent faire les curieux.

As-tu une journée type dans ton quotidien de libraire ?

Je n’ai pas encore de journée type. Mais il y a des moments qui reviennent fréquemment telle la réception des livraisons, parfois tous les jours pour certains (comme Hachette), sinon tous les trois jours. Il y a aussi la vente et le conseil, les commandes des clients et collectivités, le rangement, la vitrine, la communication, l’administration… Le challenge, c’est de ne pas s’éparpiller. Je suis souvent interrompue dans mes tâches, ne serait-ce que par le téléphone qui sonne.

Je m’occupe également des livres présentés en vitrine, et surtout des nouveautés qui arrivent régulièrement et que je mets en avant sur les tables.

Selon toi, comment a évolué le métier de libraire ?

Le numérique n’a pas empêché les gens d’acheter des livres papier.

Je pense que ce qui change, ce sont les techniques d’achat : maximiser le plus possible les commandes, avoir le plus de cartons au moment d’une livraison pour réduire les coûts de transport (gros coût en librairie, tout est à la charge du libraire pour la commande et les retours) et les coûts énergétiques.

La communication a aussi évolué avec l’essor des réseaux sociaux. Beaucoup de libraires s’y sont mis et ont des comptes, il est difficile de s’en passer aujourd’hui. J’ai cette chance d’avoir été dans le milieu et de ne pas galérer, ce qui n’est pas le cas de tous, en plus de ceux qui ne veulent pas y être, même s’ils se privent de visibilité.

Après, je n’ai pas encore assez de recul pour en dire plus.

Comment choisis-tu les ouvrages que tu mets en rayon ?

librairie indépendante de proximité

Il y a beaucoup de choix personnels, beaucoup de subjectivité. Faire ma sélection pour l’implantation m’a pris quelques mois. Je suis aussi accompagnée par les représentants des maisons de diffusion qui me suggèrent les immanquables, entre les auteurs qui vendent beaucoup, les nouveautés, les meilleures ventes sur des distributeurs un peu moins connus. Après, c’est à mon appréciation personnelle. J’achète des ouvrages qui m’ont plu ou qui vont me plaire. C’est plus facile de conseiller quand c’est un sujet que tu apprécies, mais il en faut pour tout le monde.

Les représentants viennent me voir directement, d’autres m’appellent ou m’envoient des emails. J’ai un rendez-vous tous les deux mois, car les nouveautés se traitent tous les deux ou trois mois. Par exemple, ils me contactent en octobre pour les sorties de janvier. Pour la rentrée littéraire de septembre, c’était en juin. Ils ont un catalogue et m’indiquent les nouveautés, ce qu’il ne faut pas manquer. Ils conseillent aussi les libraires en fonction de ce que ces derniers mettent en avant dans leurs rayons. C’est un travail de fond qui permet de bien anticiper les sorties, les achats à faire.

Je découvre peu à peu ma clientèle locale et ce qui lui plaît. Pour le moment, c’est un pari pour la vente des livres que je propose. Et pour savoir combien d’exemplaires d’un ouvrage je dois prendre, je fais confiance aux conseils des représentants, sinon c’est moi qui estime.

Lis-tu et aimes-tu tout ce que tu as en rayon ?

J’ai des rayons que je ne lis pas, ou très peu, comme la fantasy, la science-fiction. Mais je dois m’y mettre, car pour conseiller il faut au moins savoir de quoi le livre parle, au-delà d’avoir lu et apprécié. Pour la jeunesse, je pêche aussi, donc vais devoir me plonger dedans pour pouvoir conseiller en albums jeunesse, ce registre reste très diversifié.

On ne peut pas tout connaître ni lire tous les livres qu’on propose. C’est paradoxal, mais j’ai moins de temps pour lire depuis que j’ai ouvert ma librairie. Il y a aussi pleins de livres que je vends que je n’apprécie pas forcément, mais il en faut pour tout le monde.

Dans ma sélection, je mixe les auteurs à succès (Musso, Mélissa Da Costa, Werber…) et les titres plus confidentiels que j’ai aimés et que je veux défendre, des livres de petites maisons d’édition. Si tu veux attirer la clientèle, il faut des auteurs qui vendent. Mais par ce biais, je peux amener les clients sur les autres titres moins connus.

librairie indépendante de proximité

Comment mettre en vente un roman auto-édité dans une librairie indépendante ?

J’accepte de mettre en vente dans ma librairie des ouvrages auto-édités lorsqu’un·e auteur·rice me sollicite. Même si le livre ne m’attire pas, je le prends quand même, car il peut plaire à d’autres. Par contre, je les prends au départ en dépôt, je n’achète pas les exemplaires à l’auteur·rice. Je ne le·a paye que quand le livre est acheté par un client, en déduisant une marge de 30 % (en moyenne chez les libraires, c’est 35 %). Ainsi, sur un ouvrage vendu 10 €, je récupère 3,50 €. Libraire n’est pas un métier où tu gagnes beaucoup d’argent.

Je laisse six mois pour donner une chance au livre. S’il ne se vend pas, je retourne les exemplaires invendus à l’auteur·rice, qui ne touche rien si rien n’a été acheté.

Quand je peux, je lis le livre avant de le mettre en rayon, ou je prends au moins le temps de parcourir l’histoire, pour savoir de quoi ça parle et pouvoir le conseiller. Je fais quand même attention à la qualité de la forme. Et si c’est un·e auteur·rice très local, je vais le·a favoriser. Le côté « auteur local » peut aussi attirer des clients.

Comment sélectionnes-tu les auteur·rice·s qui viennent en dédicace ?

librairie indépendante de proximité

Comme je démarre, ma librairie n’est pas connue. Ce ne sont pas les maisons d’édition ou les auteur·rice·s qui me sollicitent, mais moi qui vais vers eux. Je tâche d’en convier qui ne sont pas très connus, qui sont édités dans de petites maisons d’édition, qui viennent de sortir un premier livre, pour les faire découvrir au grand public.

Les maisons d’édition ne répondent pas forcément à mes invitations, les auteur·rice·s un peu plus, surtout quand ils sont en local.

Faire venir les auteur·rice·s en dédicace, ce n’est pas gratuit, notamment avec les frais de transport. Il m’arrive aussi de les inviter à manger, on trouve des arrangements. Les maisons d’édition demandent parfois des forfaits.

Je ne gagne rien pour le moment en faisant venir des auteur·rice·s en dédicace. C’est une opération blanche, car les clients achètent majoritairement le livre.

Organiseras-tu d’autres types d’événements ?

Je pourrais organiser d’autres événements, mais il faut avoir du temps pour s’y pencher. Je reste donc sur les dédicaces, pour l’instant. Mais il serait possible de programmer des ateliers, des conférences sur un sujet de science humaine, un festival de lecture, une remise de prix…

Que t’est-il arrivé de particulier depuis l’ouverture ?

Il arrive que des gens appellent pour avoir un livre le lendemain. Ils sont habitués à tout avoir rapidement, par Amazon ou dans les grandes librairies. Seulement, un indépendant a des délais pour être livré, il faut anticiper la commande.

Certains me demandent s’ils peuvent emprunter les livres en confondant librairie et bibliothèque, ou cherchent un service d’impression ou de reliure.

Retour d’interview

Cet échange fut très enrichissant, j’ai vraiment aimé jouer la journaliste (un des métiers que je citais lorsqu’on me demandait ce que je voulais faire quand j’étais petite) et en apprendre plus sur le métier de libraire.

Pendant cet interview, j’ai pu assister à une des fameuses livraisons quotidiennes de Hachette. Toujours le même livreur, qui finit par blaguer avec la libraire :
— Hachette ou hachette pas ?
— Hachette toujours !

Merci à ma super libraire pour son temps et sa gentillesse, et longue vie à ce refuge !

Je suis évidemment repartie avec quelques livres.

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